Fichier recensant les empreintes digitales et photos et vie privée des étrangers.
En pleine période de débat sur les questions migratoires et sur la protection des données personnelles, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision QPC n°2019797 du 26 juillet 2019, déclaré conforme à la Constitution les dispositions de l'article L. 611-6-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, instaurant un fichier des ressortissants étrangers se déclarant mineurs non accompagnés.
Dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, le législateur a voulu instaurer un fichier recensant les étrangers présents sur le territoire français, qui se déclarent mineurs non-accompagnés. Ces mineurs sont ceux qui sont privés de la protection de leur famille, temporairement ou définitivement.
Le recensement se traduirait par l’enregistrement des empreintes digitales et la photographie des ressortissants étrangers.
Evidemment, une telle atteinte à la vie privée et une telle surveillance a fait monter à l’étrier du cheval des droits de l’Homme un cortège d’associations humanitaires, une vingtaine en tout dont Unicef France, qui ont voulu dénoncer ce dispositif.
Ces dernières ont, par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), mis en cause le respect par ce fichier de deux dispositions constitutionnelles :
- L'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant résultant des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 ;
- Le droit au respect de la vie privée qu'implique la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Les requérants ont soutenu que ce nouvel article instaurant ce fichier portait atteinte à ces deux dispositions, pour plusieurs raisons :
D’une part, la notion de « personnes reconnues mineures » n’est pas suffisamment définie. Ainsi, une simple erreur administrative quant à l’évaluation de l’âge du ressortissant, en le déclarant majeur alors qu’il est effectivement mineur, rendrait possible son éloignement du territoire français, alors qu’une telle mesure est prohibée à l’encontre des mineurs étrangers. Cela constituerait de plus une atteinte à la présomption de minorité.
D’autre part, les données de ce fichier automatisé pouvant être réutilisé pour la lutte contre l’entrée et le séjour irrégulier des étrangers en France, il n’est pas limité seulement à la protection de l’enfance. De ce fait, il serait fait fi de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, au profit de la poursuite d’autres missions.
Le Conseil constitutionnel a examiné le réel impact de l’instauration d’un tel fichier de recensement sur les garanties constitutionnelles visées :
D’un côté, il relève que ce fichier n’a pas pour objet, et pas pour effet de modifier ni les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu, ni les règles relatives aux protections attachées à la qualité de mineur, soit la prohibition des mesures d'éloignement et la possibilité de contester l’évaluation de l’âge effectuée.
En effet, la collecte et la conservation de ces données, qui intervient dès qu’un ressortissant étranger demande une protection en tant que mineur non-accompagné, permet de vérifier qu’une évaluation de l’âge n’a pas déjà été menée. Par suite, il n’y a plus de risque de conduire plusieurs évaluations qui pourraient être erronées, qui plus est que la première évaluation enregistrée est contestable.
Il déduit que cela renforce la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, car les garanties qui en découlent doivent être accordées à tous les mineurs présents sur le territoire français, et de ce fait, ce fichier endigue le risque que des mineurs se voient évalués majeurs et donc ne puisse pas en bénéficier.
Le Conseil conclu que l’article ne méconnaît pas l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant.
D’un autre côté, il a estimé que le traitement automatisé mis en place vise à faciliter l’action des autorités en charge de la protection des mineurs, ainsi qu’à lutter contre l’entrée et le séjour irrégulier des étrangers en France. Ce fichier permettrait d’éviter que des personnes majeures réitèrent des demandes de protection alors que celles-ci ont déjà donné lieu à une décision de refus.
Il conclut que le législateur a entendu concilier l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre l'immigration irrégulière.
En outre, le juge a précisé dans sa décision que les données recueillies sont celles nécessaires à l’identification de la personne, et à la vérification qu’il n’a pas préalablement fait l’objet d’une évaluation de son âge.
De plus, la conservation des données des personnes reconnues mineures est limitée à la durée strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle.
Alors, le législateur a opéré une conciliation entre la sauvegarde de l'ordre public, et le droit au respect de la vie privée, qui n’est pas disproportionnée.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conforme à la Constitution les dispositions de l’article mettant en place ce fichier de recensement.
Mais bien que les justifications avancées quant à cette surveillance et collecte de données soient louables, on ne peut que craindre au vu du contexte insécuritaire actuel que les prochaines lois portant la même atteinte à la vie privée soient dirigées à l’encontre de tous les citoyens français, au service d’objectifs sibyllins.
Décision n° 2019-797 QPC du 26 juillet 2019
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