La remise en cause du barème d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse
Trois décisions de conseils de prud'hommes ont récemment rejeté le barème d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, instauré par les ordonnances dites Macron du 22 septembre 2017. Des dommages et intérêts supérieurs au plafond prévu par le nouvel article L.1235-3 du Code du travail, mesure phare des ordonnances, ont en effet été octroyés.
Cet article qui, dans sa version antérieure, prévoyait une indemnité à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois, borne aujourd’hui les dommages et intérêts dû aux salariés par des montants prédéfinis. Ils sont ainsi plafonnés en fonction de l’ancienneté du salarié.
Depuis sa mise en place, ce barème est largement décrié et les conseils de prud’hommes commencent à le remettre en cause.
Les juges de Troyes furent les premiers à formuler une telle décision dans un arrêt du 13 décembre 2018 (F18/00036). Un salarié a été licencié malgré un motif économique non valable invoqué par l’employeur. Le barème d’indemnisation a alors été rejeté en raison de son inconventionalité au regard de l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail et de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne. Ces deux textes disposent qu’un salarié injustement licencié doit bénéficier d’une « indemnité adéquate » ou toute autre « réparation appropriée ». Le plafonnement en vigueur ne permettrait pas d’apprécier la situation individuelle des salariés et serait de laisser des situations dans lesquelles l’indemnisation ne couvre pas le préjudice subi. ».
L’arrêt du 18 décembre 2018 du CPH d’Amiens (F18/00040) reprend le même raisonnement. Il indique que le barème se doit d’être en adéquation avec les conventions internationales, que « le salarié subit nécessairement un dommage, psychique et financier » et que, dans les faits, l’indemnité légale d’un demi mois de salaire normalement due ne pouvait « être considérée comme étant appropriée et réparatrice du licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Ainsi, le conseil a finalement condamné l’employeur au paiement de 2 000 € de dommages et intérêts.
Le dernier jugement est celui du CPH de Lyon, en date du 21 décembre 2018 (F18/01238). Les juges se sont fondés directement sur la Charte sociale européenne pour indemniser une salariée, dont la rupture de relation de travail a été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, au-delà du plafond légal, sans même le mentionner.
Tous ces arguments avaient néanmoins été rejetés par le CPH du Mans qui a refusé d’appliquer l’article 24 de la Charte sociale européenne et a estimé que le barème était conforme à la Convention n°158 de l’OIT. Les juges avaient alors décidé de suivre le Conseil d’Etat qui avait estimé que le barème en vigueur était tout à fait conventionnel en ce qu’il laissait aux juges une marge de manœuvre suffisante.
Les décisions du mois de décembre sonnent alors comme un coup de tonnerre et ouvrent une période d’incertitude. De tels jugements risquent de se multiplier mais pour le moment on reste en attente des décisions d’appel et d’une éventuelle intervention de la Cour de cassation.
On ne peut toutefois qu’espérer que cette tendance se répande puisque le principe d’équivalence entre réparation et dommage est actuellement mis à mal. De surcroît, on peut regretter que le plafonnement ne soit pas assez dissuasif vis-à-vis des employeurs.
Beaucoup tentaient déjà de se détacher de ce barème en se raccrochant à l’un des cas de nullité du licenciement, comme la discrimination ou le harcèlement, ce qui permet d’allouer une indemnité non plafonnée, ne pouvant être inférieure à 6 mois de salaire (L.1235-3-1 Code du travail).
CPH de TROYES ; 13 décembre 2018 ; n° F18/00036
CPH d’AMIENS ; 18 décembre 2018 ; n° F 18/00040
CPH de LYON ; 21 décembre 2018 ; n° F 18/01238
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